Du 22 au 26 février, se tenait (en ligne) le Digital Summit de MuseumNext.
Pendant une semaine, musées et agences ont présenté leurs pratiques et échangés autour de l’innovation et du digital dans les musées.
Cette année, le congrès avait une saveur particulière. Au cœur des préoccupations : comment faire vivre un musée en temps de Covid ? Comment poursuivre ses missions de transmission ? Comment garder le lien avec le public ? Comment assurer des rentrées pécuniaires lorsque les portes sont désespérément closes ?
Ce compte rendu propose de revenir sur l’intervention de l’équipe marketing du musée Van Gogh :
« Comment doubler les dons grâce à quelques trucs » (« How to double your online donation income with small tweaks »).
Ce titre aguicheur évoque la promesse d’un spam ou d’une mauvaise publicité Facebook. En fait, la méthode est un peu plus scientifique que quelques « trucs » ou « ajustements » comme on pourrait traduire le « tweaks » original. Cependant, les résultats sont là. Les dons en ligne des particuliers ont bien doublé en 3 ans passant de moins de 30 000 € à près de 60 000 € par an. Retour sur une belle prouesse qui permet également de saisir toute l’importance d’une réflexion UXdesign sur un site web de musée ou d’institution culturelle.
Les dons en lignes sur le site web du musée Van Gogh ont doublé depuis leur mise en place en 2017.
1. Au cœur du processus marketing : l’AB testing
J’évoquais une méthode quasi scientifique, car le processus marketing utilisé par le Van Gogh Museum n’en est pas très éloigné. Cette démarche, c’est le test A/B. Bien connue des marketeurs, elle consiste à proposer plusieurs variantes d’une même page web en même temps à différents segments de visiteurs du site et à comparer les résultats pour proposer des ajustements et atteindre les objectifs.
Imaginer une marque de confiserie vendue en supermarché qui souhaite booster ses ventes. Deux faux supermarchés proposant des produits similaires, mais agencés différemment, sont mis en place. Deux groupes de cobayes sont envoyés chacun dans un des deux supermarchés. À la sortie, leurs caddies sont comparés, et des conclusions sont tirées sur l’impact de l’agencement des supermarchés sur leurs achats de confiseries. Des ajustements d’agencement (emplacement dans la boutique, hauteur sur l’étagère, etc.) sont effectués en fonction des résultats. Les tests peuvent continuer jusqu’à ce que l’agencement optimal soit trouvé au regard de l’objectif quantitatif défini au préalable.
Pour le Van Gogh Museum, pas de confiserie, mais une invitation des internautes à faire un don au musée, et l’intuition que « l’agencement » de la page dédiée pourrait influer sur le montant et le nombre de dons.
2. 1re étape : partir de l’existant
2018 : le musée met en place le don en ligne
Depuis 2018, pour visiter le musée Van Gogh, le visiteur doit acheter son billet en ligne et réserver un créneau de visite. Il s’agissait pour le musée d’améliorer la gestion de ses flux notamment dans les périodes de grande affluence.
Juste avant la validation de l’achat de billet, le formulaire proposait de réaliser une donation. L’internaute avait à sa disposition un champ libre qu’il pouvait renseigner du montant de son choix. Un astérisque renvoyait à quelques phrases dans le footer (pied de page) du site explicitant l’utilisation par le musée de ces dons.
Premiers résultats encourageants
Après un an d’utilisation de ce système, les données récoltées étaient suffisantes pour que l’équipe marketing puisse tirer quelques conclusions instructives :
- Les visiteurs donnent, même sans avoir encore vu l’exposition
- Les plus gros donateurs sont les Américains, suivis des Hollandais, des Anglais, des Allemands, les Allemands et des Italiens. On notera que les Français n’ont pas été cités….
- Le don le plus courant s’élève à 1 €, puis 2 € et 5 €.
- Les donations sont plus importantes lors des expositions temporaires. L’équipe l’explique par le fait que les futurs visiteurs s’attendaient à payer un billet plus élevé que pour une simple visite de l’exposition permanente. Le musée Van Gogh a effectivement fait le choix de ne pas demander de supplément lors des expositions temporaires.
3. Ajuster pour doubler les dons au musée
Forte de ces premières observations, l’équipe souhaite aller plus loin. L’objectif est de doubler le montant moyen de la donation, donc de passer de 1 à 2 euros. Pour cela, ils mettent en place un système d’A/B test. La moitié des internautes qui souhaitent acheter un billet atterriront la page actuelle – la page A- , et l’autre sur une nouvelle page – la page B – .
La révolution des boutons
Quels sont les changements apportés à la page de vente B ? Pas grand-chose et pourtant…
- Sur la page A, l’internaute qui souhaite donner est toujours libre de renseigner le montant de son choix.
- Sur la page B, le champ libre est remplacé par 4 boutons avec des montants définis de 2 € à 20 €, plus la possibilité offerte par un 5e bouton d’offrir un montant libre.
Deux pages son testées en même temps sur le site : la page A avec un champ de don laissé libre et la page B avec des boutons proposant des montants de don prédéfinis.
Bouton : 1 / champs libre : 0
Gros musée et gros flux obligent, les résultats ne se font pas attendre. Ils sont sans appel.
La page avec boutons a recueilli 160 % de dons supplémentaires et pour un montant global supérieur de 50 %. Entre 2017 et 2019, le montant annuel de dons par des particuliers est passé de près de 30 000 € à près de 60 000 €.
Bye bye le champ libre. Galvanisée par ce succès, l’équipe souhaite aller encore plus loin….
4. Continuer à tester…et se planter
L’équipe marketing du musée se dit qu’en jouant sur le texte qui accompagne l’invitation au don, les résultats pourraient sûrement être améliorés.
Jouer sur le Copywriting
Dans cette 2e étape du test, la page B du 1er test est désormais considérée comme la page de référence, et devient donc…la nouvelle page A.
Les explications concernant l’utilisation des dons par le musée sont toujours disponibles dans le footer et liées par un astérisque.
Deux pages tests supplémentaires sont créées :
- Sur la page B, le texte explicatif est remonté juste au-dessous des boutons, avant le push (bouton d’action) de validation.
- Sur la page C, le texte est également remonté, mais aussi modifié. Il est retravaillé dans une optique de persuasion (Copywriting).
Apprendre de ses erreurs
À l’issue de la période d’essais, l’équipe marketing constate que la page A de référence avec les explications laissées dans le footer fonctionne beaucoup mieux que les pages où le texte avait été rapprochés des boutons.
C’est cette page qui sera conservée.
5. Et là….c’est le Covid
Comme la plupart des musées du monde, le musée Van Gogh n’a pas échappé à une 1re période de fermeture au printemps 2020. Il est de nouveau fermé depuis le 15 décembre dernier. L’équipe marketing doit entièrement repenser son approche pour tenter de maintenir les donations.
1re fermeture du musée : ouverture d’une page spéciale don
Lors de la 1re fermeture, le musée a fait le choix de fermer son tunnel de vente de billets.
Pour ne pas se priver de potentiels dons, une page exclusivement dédiée au don est lancée. Cette page est nourrie d’un texte incitatif et le don le plus bas proposé est de 2,5 €.
2de fermeture du musée : maintien de la page billetterie
Depuis la 2de période de fermeture (je n’ose dire « 2e »), la page de billetterie est maintenue ouverte.
Il s’agit toujours de celle avec les boutons proposant un don de 2€ à 20€ et l’astérisque.
L’internaute peut acheter des billets pour une visite après le 16 mars, date de réouverture espérée 🤞 .
Page de don : 0 / page de billetterie : 1
Quels sont les enseignements tirés par l’équipe marketing suite à ces périodes de fermetures :
- Sans surprise, les dons sont globalement été beaucoup plus faibles pendant les périodes de fermeture.
- Même lorsque le musée est fermé, la page de billetterie a permis de récolter plus de dons que la page exclusivement créée à cette fin.
- Sur une page dédiée aux dons, le copywriting doit être particulièrement travaillé.
- Lors de la 1re fermeture, les dons ont augmenté quand l’invitation au don était directement présente dans la partie actualité du site visible dès l’accueil, notamment au moment des annonces gouvernementales.
L’actuelle page d’accueil du musée Van Gogh (12 mars 2021) mettant directement en avant l’appel au dons.
6. Conclusion et enseignements
Quelles conclusions tirer de cette intervention et de l’expérimentation de l’équipe marketing du Van Gogh Museum ?
- Les visiteurs ont envie de donner, même avant d’avoir visité une exposition.
- Moins il y a de freins à l’action (lecture de texte explicatif, renseignement d’un champ libre), plus l’internaute agit, et donne : une réflexion UX design centrée donc sur l’utilisateur est indispensable.
- Le copywriting peut-être votre allié, mais pas toujours.
- Et pour tirer ces conclusins, il faut tester, tester et encore tester.
La méthode a fait la démonstration que les visiteurs sont prêts à soutenir les institutions culturelles.
Bonne nouvelle, en France, tous les dons aux musées peuvent bénéficier d’une réduction fiscale avantageuse.
Il faut également saluer l’effort d’UX design mis en place par le musée sur son tunnel de billetterie. L’internaute ne voit jamais l’ensemble du processus. Dès qu’une étape est franchie (choix de la date, nombre de visiteurs, etc.), elle disparaît pour laisser place à la suivante jusqu’à la validation finale.
Je n’ai pas le souvenir en France d’avoir déjà observé un appel au don directement intégré à une page de billetterie. Lors de mes recherches sur des sites de musée, j’ai observé des pages dédiées au don visuellement complexes, avec de nombreuses étapes peu incitatives.
Ceci un compte rendu de la conférence donnée le 24 février 2021 dans le cadre du MuseumNext Summit 2021 par Fransje Pansters et Myriam Bruijne du Van Gogh Museum de Amsterdam.
EN TRÈS BREF :
- Les visiteurs sont prêts à donner en ligne, même avant leur visite.
- L’appel au don fonctionne bien davantage s’il est intégré au formulaire d’achat de billet de visite plutôt que sur une page dédiée.
- Les boutons avec des montants prédéfinis sont beaucoup plus efficaces qu’un champ laissé libre.
- Le parcours du visiteur (UX design) doit être le plus simple possible pour convertir.
- Les petits montants peuvent faire les grandes rivières.
- Testez, testez et testez pour déterminer quelle configuration et quel UX design entraînent le plus de dons en restant centré sur vos utilisateurs et la facilité du parcours sur votre site.